samedi 9 juillet 2011

L’étrange mise au silence de l’Amérique libérale


Comment la censure politique fonctionne t’elle dans les sociétés libérales ? Quand mon film: “Année zéro: la mort silencieuse du Cambodge” fut interdit aux Etats-Unis en 1980, le diffuseur PBS coupa tout contact. Les négociations furent terminées de manière brutale, les coups de téléphone furent sans réponse. Quelque chose se passa. Mais quoi ? “Année zéro™ avait déjà alerté le monde des horreurs de Pol Pot, mais il enquêtait également sur le rôle critique de l’administration Nixon dans la montée au pouvoir du tyran et de la dévastation du Cambodge. Six mois plus tard, un officiel de PBS me dit: “Ce n’était pas une censure. Nous vivons des jours politiques difficiles à Washington. Votre film nous aurait causé pas mal de problèmes avec l’administration Reagan. Désolé.”


En Grande-Bretagne, la longue guerre en Irlande du Nord déclencha une censure similaire bien que réfutée. La journaliste Liz Curtis fît plus de 50 films pour la télévision en GB, qui ne furent jamais montrés ou retardés indéfiniment de diffusion. Le mot “banni” fut rarement utilisé et les responsables insistèrent toujours sur le fait qu’ils croyaient en la liberté d’expression. 

La fondation Lannan à Santa Fe au Nouveau Mexique, croit en la liberté d’expression. Son site internet proclame que la fondation “est dédiée à la liberté culturelle, à la diversité et à la créativité.” Des écrivains, des réalisateurs, des poètes ont accès à ce sanctuaire de libéralisme financièrement supporté par le milliardaire Patrick Lannan dans la pure tradition de Rockefeller et Ford. 

Lannan accorde également des “bourses” au média libéral américain, tels que Free Speech TV, la Foundation for National Progress (éditeur du magazine Mother Jones), le Nation Institute et le programme de radio et de télévision Democracy Now! En Grande-Bretagne, Lannan  a soutenu le prix de journalisme Martha Gellhorn, duquel je suis un des membres du jury. En 2008, Patrick Lannan a personnellement soutenu la campagne présidentielle de Barack Obama. D’après le journal “Santa Fe New Mexican”, il est totalement “dévoué” à Obama. 

Le 15 Juin, Je devais aller à Santa Fe après avoir été invité à partager une plateforme de communication et de promotion avec le distingué journaliste américain David Barsamian. La fondation devait aussi accueillir la première américaine de mon nouveau film “the War you don’t see” (NdT: “La guerre qu’on ne voit pas”), qui enquête sur la fausse imagerie des faiseurs de guerre, spécialement Obama. 

Je me préparais à ce voyage à Santa Fe lorsque je reçus un courriel du responsable de la fondation Lannan qui organisait ma visite. Le ton était incrédule: “Quelque chose s’est passé”, écrivit-elle. Patrick Lannan l’avait appelé et ordonné que tous les évènements programmés me concernant devaient être annulés. “Je ne sais pas ce qui se passe.” Écrivit-elle. 

Désabusé, je demandais que la première de mon film soit maintenue dans la mesure où la distribution américaine du film en dépendait beaucoup. Elle répéta que “tous” mes évènements étaient annulés et ceci incluait “la première et le visionnage de votre film”. Sur le site internet de la fondation Lannan, le mot “annulé” apparaissait en travers d’une photo me représentant. Il n’y avait aucune explication. Aucun de mes coups de téléphone n’eurent de réponse, et aucun de mes courriels suivant ne reçut de réponse. Un monde kafkaïen d’incompréhension était descendu sur moi. 

Le silence dura une semaine jusqu’à ce que, sous la pression des médias locaux, la fondation émit un bref communiqué disant que trop peu de tickets avaient été vendus rendant ainsi ma visite “peu rentable” et que la “fondation regrettait que la raison pour laquelle l’évènement fut annulé ne fut pas expliquée auparavant à Mr Pilger et au public au moment où la décision fut prise de l’annulation.” De sérieux doutes furent émis par un robuste éditorial du Santa Fe New Mexican. Le journal qui a joué de longue date un rôle si prééminent dans la promotion des activités de la fondation Lannan, révéla que ma visite fut annulée avant que la campagne publicitaire et les annonces ne fussent publiées. Une interview pleine page de moi faite par le journal dût être rapidement déprogrammée. “Pilger et Barsamian pouvaient s’attendre à une audience presque complète des 820 sièges du Lensic Arts Centre”. 

Le gérant du Screen. Le cinéma de Santa Fe qui avait été loué pour la première fut appelé tard une nuit et averti d’arrêter immédiatement toute la promotion en ligne de mon film, mais il prit sur lui de reprogrammer le film pour le 23 Juin. Ce fut salle comble avec beaucoup de gens qui ne purent pas entrer pour voir le film. L’idée qu’il n’y avait pas d’intérêt du public fut bien démontrée comme étant fausse. 

Des théories ? Il y en a plusieurs, mais rien n’est prouvé. Pour moi, ceci n’est que trop ressemblant de ce qui se passait dans la période ombrageuse de la guerre froide. “Quelque chose fera surface”, a dit Barsamian, “ils ne peuvent pas garder cela secret indéfiniment”. 

Mon discours du 15 Juin devait être à propos de la collusion du libéralisme américain dans un état permanent de guerre et la chute des libertés chéries, telle celle de vouloir rendre le gouvernement responsable de choses qui se passent. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, le désaccord sérieux, la liberté de parole, ont été substantiellement criminalisés. Obama, le libéral noir, le résultat miraculeux du marketing est autant un va t’en guerre que George W. Bush. Son score est de six guerres. Jamais dans l’histoire des Etats-Unis, un président n’a autant poursuivi en justice de sonneurs d’alerte; et pourtant, dire la vérité, cet exercice de véritable citoyenneté, est au cœur même du premier amendement de la constitution des Etats-Unis. Le plus grand succès d’Obama est d’avoir réussi à séduire, co-opter et à réduire au silence la plupart de l’opinion libérale dans le pays, et ceci incluant le mouvement anti-guerre. 

La réaction à la censure de Lannan a été lumineuse. Les braves, tels que le grand sonneur d’alerte Daniel Ellsberg étaient dégoûtés et en ont fait part. De la même manière bon nombre de citoyens américains ont appelé leur station de radio locale et m’ont écrit, reconnaissant un symptôme d’une bien plus grande répression. Mais d’autres voix exaltées libérales ont été choquées que je puisse oser chuchoter le mot “censure”, en parlant d’un tel phare de la “liberté culturelle”. La gêne de ceux qui veulent jouer sur les deux tableaux est palpable. D’autres ont descendu les rideaux et ne disent rien. Vu la froide démonstration de puissance de leur patron, c’est compréhensible. C’est pour eux que le poète dissident russe Yevgueny Yevtushenko un jour écrivit: “Quand la vérité est remplacée par le silence, le silence est un mensonge.” 
  
Par John Pilger 
Le 7 Juillet 2011 
Url de l’article original: 
http://www.johnpilger.com/articles/the-strange-silencing-of-liberal-america 
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~ 

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